Les secrets du WeWork

Les secrets du WeWork

Cette nouvelle a été écrite pour mes coworkers et contient donc de multiples références sibyllines.

Thibaud achevait son petit tour du propriétaire. Par un escalier dérobé, il surgit de derrière un pot de fleurs au huitième étage. Il alla se servir à la tireuse. Il avait savamment siphonné les fûts de Dom Pérignon qu’il avait trouvés dans un placard. Bien sûr, le champagne pression n’avait pas la délicatesse d’une bonne Kronenbourg mais faute de mieux il s’en contentait.

Il fourra sa main dans l’un de ces vases décoratifs qui trainaient sur les étagères et que personne ne remarquait jamais. Il en sortit une poignée de cacahuètes. Au cours de ses petites rondes dans les étages, il avait appris à repérer les caissons des employés visités par les souris. Ceux-ci contenaient presque certainement de la nourriture. Flairant les aubaines gustatives aussi bien qu’il débusquait les candidats, Thibaud avait raflé les paquets de biscuits apéritifs que les rongeurs lui avaient épargnés. Il stockait ses trouvailles dans les jarres du huitième.

Il sortit sur la terrasse. Les coupoles du Sacré-Cœur et du Printemps étincelaient au soleil couchant. Profitant du jour déclinant, Thibaud ôta la couverture en bois qui dissimulait le jacuzzi. Il l’avait remis en état durant le confinement. Il se glissa dans le bain en sirotant son champagne. Ainsi se terminait sa petite journée, pareille à toutes les autres, troublée seulement par quelques abeilles qui butinaient tranquillement dans la chaleur de cette belle fin d’après-midi. Bientôt, il irait se coucher sur le canapé où il passait ses nuits. Il avait court-circuité les caméras de surveillance et personne n’avait pensé à venir vérifier. C’était sa petite vengeance sur la vie à lui que de squatter le huitième. Anne Lauvergeon avait repoussé ses avances en CP ; alors savoir qu’il résidait maintenant dans ses anciens salons privés lui apportait la douce satiété du plat qui se mange froid.

Il en était donc là de sa soirée : du champagne pression dans un verre en plastique, quelques cacahuètes et un peu de gel hydro-alcoolique dans le jacuzzi du rooftop. C’est alors qu’il entendit un bruit sourd provenant du bâtiment. Il se leva et se pencha à la rambarde. Il vit une silhouette courir sur la passerelle qui rejoignait les deux ailes du bâtiment. Le gendarme en lui sentit le rififi. Il sauta sur la nacelle des nettoyeurs de fenêtres, défit le diamant qu’il portait en piercing sur le nombril et l’utilisa pour faire un trou dans la vitre. Il se retrouva dans la galerie vitrée, courut aux escaliers de l’aile ouest où personne ne se rendait jamais, dévala les marches ornées d’un tapis rouge et entendit une porte souterraine se refermer. Soudain toutes les lumières s’éteignirent.

« Salut tout le monde ! entonna Anne-Laure en arrivant.

— Salut ! reprirent en cœur les membres de l’Église – du surnom de l’open space qui bordait l’atrium.

— Chouquettes ? proposèrent Guillaume et Alexis.

— Café ? proposa David. »

La petite congrégation s’agglutina (tout en respectant les gestes barrières) autour du barista. Les nonnes de l’Église se mirent à rouler des mécaniques, tandis que ses moines battaient des paupières. Le beau barista ne laissait personne indifférent.

« Toujours pas de nouvelles de Thibaud ?» demanda Melvin.

Aux regards empreints de tristesse que les coworkers lui adressèrent, il comprit que non. Victor, les larmes aux yeux, bégaya « Ça fera deux semaines que je n’ai pas vu ma petite cravate d’amour.

— Ses blagues si fines me manquent, soupira Marion.

— Oh oui ! Tu te souviens de Monsieur et Madame Maquet ont une fille, comment s’appelle-t-elle ?

— Kate ! Maquet, Kate. Ma quéquette.

— Dire que certains esprits obtus trouvent cela vulgaire. C’était pourtant si candide.

— Il faut le retrouver, déclara Amélie. J’ai interrogé les pompiers du WeWork. Ils sont formels, ils ne l’ont pas vu quitter le bâtiment. Il est là, quelque part. On ne peut pas laisser tomber l’un des nôtres. Quand on attaque l’un de nos frères, c’est toute l’Église qui est attaquée !

— Bien parlé !

— Lançons un avis de recherche sur Tik tok et je demanderai à mes influenceurs de relayer l’appel ! suggéra Jérémy.

— Bonne idée !

— Connaissant Thibaud il a dû s’amuser à aller ouvrir des portes et se retrouver coincé quelque part.

— Melvin, toi qui sais tous les secrets du bâtiment, aurais-tu une idée ?

— Tu sais bien que je ne peux pas trahir le code d’honneur des baristas et révéler les confessions que je reçois. »

Ils eurent l’idée de débuter l’enquête dans les toilettes des garçons du rez-de-chaussée. Derrière la porte du placard secret dissimulé dans l’une des stalles, il y avait toujours le cadavre que Frédéric y avait caché mais nulle trace de celui de Thibaud.

Ils s’entretinrent ensuite avec le responsable de la maintenance du WeWork qui leur confirma que des anomalies avaient été relevées et qu’un sac de couchage avait été trouvé au huitième étage. Sur le rooftop, ils retrouvèrent les cravates de Thibaud, suspendues au tuyau de la tireuse. « Jamais Thibaud ne serait sorti sans sa cravate, sauf si un cas de force majeure l’y avait contraint. Cherchons des traces de lutte. » Sur leurs gardes, ils examinèrent tous les recoins. Ils trouvèrent plusieurs verres de champagne cachés dans les plantes aromatiques et quelques cacahuètes dissimulées dans des vases. Alors qu’ils déplaçaient un livre de la bibliothèque, un grincement se fit entendre et un pan de mur s’ouvrit, révélant un escalier de service. Ils descendirent en se tenant sur leurs gardes.

Ils parvinrent au – 3. Ils se mirent à crier le nom de celui qu’ils cherchaient. Louis sortit alors d’un placard en réclamant un peu de tranquillité. Il ne s’était pas retranché au -3 pour qu’on vienne lui braire dans les oreilles ! Dans un silence de mort, ils entreprirent de sonder toutes les portes. Hélas, il n’y avait là que des salles plongées dans l’obscurité où étaient stockées des tables et des chaises. C’était terrifiant. Stéphanie remarqua que l’un des couloirs s’interrompait brutalement sans mener nulle part, comme s’il avait été muré. Ils aperçurent dans le placo qu’un petit trou avait été pratiqué. Il était surmonté d’une instruction qui annonçait « Serrure secrète ». Une fine mine de crayon aurait pu y loger mais ils n’avaient qu’un crayon à papier mal taillé qui trainait dans la poche de Nina. Heureusement, Khang avait un taille-crayon sur lui. En une demi-heure il affûta le crayon si finement qu’il put déclencher le mécanisme avec. La paroi s’effaça.

Derrière, un petit escalier en fer rouillé descendait plus profondément encore dans les entrailles du bâtiment. Ils s’y engouffrèrent. Ils tombèrent alors sur une salle étrange pleine de machines à expresso avec deux gros groupes électrogènes. Dans un coin, Thibaud buvait un café tranquillement.

« Oh bah, vous voilà ? Ça me fait drôlement plaisir de vous voir !

– Thibaud ! Mais qui t’a enfermé ici ?

– Enfermé ? Oh mais non, répondit-il avec nonchalance et bonhommie. Non, c’est juste quelqu’un qui m’a assommé avec une batte de baseball. Il m’a promis qu’il ne l’avait pas fait exprès. C’est trois fois rien. On m’a amené ici ensuite et malheureusement on m’y a enfermé par inadvertance, sans plus retrouver les clefs de la porte secrète. Je suis sûr qu’on est en train de se démener pour me sortir de là. Ça fait deux semaines maintenant, je commence à avoir un peu faim. Heureusement j’avais quelques biscuits apéritifs dans mes poches. »

Ils se regardèrent les uns les autres, interloqués.

« Je me suis drôlement enquiquiné pendant tout ce temps mais figurez-vous que quelqu’un avait laissé traîner des documents secrets et il semblerait qu’Areva avait développé son propre arsenal nucléaire. Le jacuzzi sur la terrasse était la piscine de refroidissement pour l’enrichissement en uranium.

— Mais qui a bien pu faire ça ?

— Oh mais c’était juste Melvin, annonça Thibaud comme si de rien était.

— Melvin !?

— J’ai une théorie. Ne trouvez-vous pas cela curieux que WeWork ait beau changer de fournisseur de café, ce soit toujours Melvin qui reste ?

— Oui, c’est louche. Il était déjà barista dans le bâtiment avant WeWork, il parait.

— A mon avis c’est un agent infiltré qu’Areva a laissé en gardien pour ne pas éveiller les soupçons et protéger l’arsenal.

— Tout concorde. Il n’y a pas d’autre explication. »

Ils se ruèrent dans l’atrium. En les voyant débarquer avec Thibaud, Melvin pâlit et se mit à pianoter sur les boutons de sa machine à café. Les membres de l’Église coururent sur Melvin pour l’immobiliser mais il était trop tard. On entendit des grincements et la magnifique verrière au-dessus de leurs têtes commença à se retirer comme un toit ouvrant. Certaines lattes de parquet sautèrent et des ogives nucléaires apparurent.

« Je ne pensais pas que qui que ce soit percerait un jour ce secret mais Thibaud m’a surpris sur le fait et désormais vous avez tout deviné. Le code d’honneur des barista nucléaires me commande d’armer les engins. Ça fait trop longtemps que je voulais utiliser ce bouton sur la machine à café ! Mwahahaha ! Vous ne trouverez jamais la combinaison interdite pour annuler le procédé !

— Vite, vous souvenez-vous de la combinaison que Melvin nous avait interdite de faire sur la machine lorsqu’il nous avait donné un cours de latte art ?

— Oui, c’était 19,3g et 27s !

— Noooooooooooon ! gémit Melvin »

Stéphanie sauta derrière le comptoir et effectua la manœuvre : tarer la balance, peser 19,3 grammes de café exactement, tasser le café, enclencher le porte-filtre, faire l’expresso durant 27 secondes. Tous retinrent leur souffle. Soudain, les ogives se renfoncèrent dans le parquet et la verrière se referma. Ouf, il était moins une. La plupart des gens dans l’atrium n’avaient rien compris mais tous exultèrent.

« Pour fêter la non-destruction de la planète, annonça Khang, l’open bar commencera à 11h du mat aujourd’hui ! Melvin on te pardonne, tu peux rester comme barista. 

— Trop bien ! Du coup je vais vous montrer une autre combinaison ! »

Il tapota les boutons de sa machine, la verrière s’ouvrit sur le ciel bleu et laisse entrer le soleil dans la pièce. Le parquet central s’enfonça d’un mètre vingt pour laisser apparaître un bassin qui se remplit d’eau. Les WeWorkers passèrent le midi à se prélasser dans cette pool party.

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