Green (2007)

Green (2007)

Quelque chose me blesse. Je sens une douleur fulgurante.
« Madame ! Madame ! »
Laissez-moi. Laissez-moi !
« Est-ce que vous m’entendez, Madame ? »
Non. Non ! Je ne veux pas. Je ne veux entendre que le bruit de ses pas, que le bruit de sa voix, que le bruit de sa respiration assistée, que…
Je sens qu’on me frictionne les joues. J’ai mal.
« Madame, est-ce que vous me voyez ? »
Non ! Je ne veux voir que ses pommettes livides, que ses mains blanches, que ses yeux ternis et voilés.
« Tenez, buvez ça. »

Je me souviens m’être redressée et avoir bu. Je me suis levée et j’ai marché jusqu’à la porte sans remercier personne. Dehors, les rayons du soleil m’ont caressée et la flagornerie m’a presque séduite. Dans la rue, les gens marchaient pressés, décontractés, fermés sur leurs pensées, rieurs, seuls, en bandes, dans leur époustouflante diversité. J’avais les membres en coton, je me sentais chloroformée, droguée par une dose aliénante de morphine. J’ai remonté la rue, je suis passée devant une supérette d’où des gens sortaient chargés, je suis passée devant un parc où des gens profitaient du doux soleil de cette fin d’été, je suis passée devant un parking, devant un cinéma, devant des bureaux, des magasins, d’autres rues, d’autres gens, d’autres vies, d’autres mondes, d’autres objets et je suis restée hagarde, étranglée sans savoir très bien pourquoi.


Je suis venue la visiter tous les jours. Je suis venue la visiter dès que je le pouvais. Je suis venue la visiter sachant pertinemment que cela ne servait à rien mais avec l’espoir fou de me tromper.

J’arrive tout couvert encore de rosée

Dans la rue, je ne regardais rien, je ne voyais rien plutôt : rien ne m’intéressait plus. Mes yeux étaient rivés dans un épais brouillard que rien n’avait envie de dissiper.

Que le vent du matin vient glacer à mon front.

J’avais beau être dans cet état de transe inactif et indolore, je me sentais fourbue. Chaque pas manquait de me faire m’écrouler, chaque inspiration me faisait perdre mon souffle. Je sortais de mes nuits plus fatiguée que jamais : mon sommeil devenait plus éprouvant que mes insomnies.

Souffrez que ma fatigue à vos pieds déposée

A son chevet, je me surprenais dans des rêveries où elle et moi mettions le feu à la maison où dormaient nos parents. Je lui demandais pardon mais plongée dans son coma, elle ne me répondait pas. C’est alors que j’ai commencé à parler à Dieu. Si elle ne me répondait pas, peut-être Dieu, Lui, me pardonnerait-Il ces rêves inexcusables. Je m’accrochais à l’idée qu’Il puisse être là et m’entendre. Ce fut ma consolation de croire qu’on m’écoutait. Cette échappatoire spirituelle n’évacuait pas ma douleur mais ma culpabilité. Aussi égoïste que cela puisse être, j’ai voulu croire que j’étais pardonnable et ma foi s’est érigée sur les ruines de ma honte et de ma solitude.

Rêve des chers instants qui la délasseront.

Un jour, au matin du 20 août, le médecin moustachu m’a trouvée assoupie à ses côtés. Doucement, j’ai senti sa main sur mon épaule hâter mon réveil. Il m’a demandé de le suivre dans son bureau. Après toutes les fioritures possibles, il a fini par me le dire. Par me demander ce que je redoutais qu’on me demande depuis trois mois. Par me poser cette question qui occupait mes pensées nuit et jour sans que j’ose me l’avouer. « Les chances pour que votre sœur se réveille un jour sont minces. Les coûts du maintien artificiel à la vie sont énormes. Je ne veux vous presser d’aucune façon mais j’aimerais que vous réfléchissiez à la… possibilité de mettre un terme à… à son état. »

Laisser un commentaire