Green (2007)

Green (2007)

Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux.

J’arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue à vos pieds déposée
Rêve des chers instants qui la délasseront.

Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encor de vos derniers baisers ;
Laissez-là s’apaiser de la bonne tempête,
Et que je dorme un peu puisque vous reposez

Green, Verlaine


J’appuie ma tempe contre la vitre. Dehors, les vastes plaines de la vallée s’étalent sous ce soleil de plomb. Les épis rougeoyants tournent leurs chefs vers le ciel, attendant patiemment un orage qui ne viendra pas. Pas ce soir en tout cas. J’avais chaud tout à l’heure et souhaitais l’orage presqu’autant que ces champs harassés. A présent, un vague sentiment de froid s’est épris de moi. Je ne saurais pas dire si je suis debout ou assise, depuis combien de temps suis-je ici ni si je l’ai toujours été.

J’appuie ma tempe contre la vitre. Je crois que tout à l’heure j’avais pensé à presser jusqu’à ce que le verre éclate. Maintenant, c’est ma tête qui donne l’impression qu’elle va imploser d’un moment à l’autre. Il me semble que mon corps tout entier fait l’objet de frissons. Ma peau se hérisse : j’ai la chair de poule. Les vieux murs aseptisés me donnent la nausée. Tout est blanc, tout est propre, tout est tellement elle.

J’appuie ma tempe contre la vitre. La dame en blanc me parle… qu’elle cause, je n’entends pas. Je ne vois que le mouvement de ses lèvres, son bras qui se hisse vers le mien. Je sens à peine le contact, mon corps engourdi obéit comme une poupée.
Et puis mes jambes se sont dérobées sous le poids de mon corps. Je dois être à genoux sur le linoléum, écru, propre. Un haut-le-cœur. Puis un autre. Finalement je tache toute cette outrageante propreté. C’est elle que j’essaie d’atteindre mais déjà deux paires de bras me saisissent et m’entraînent me purger ailleurs.


Je freine brutalement, les pneus dérapent sur la chaussée mouillée. Je sors en hâte de la voiture, je ne sais même plus si je l’ai fermée. Sous la pluie battante, je vois les lettres bleues qui se détachent sur le panneau lumineux. URGENCES. Je cours, la pluie tombe sur mes épaules nues. Je heurte dans ma course un brancardier, je me serais étalée sur le bitume s’il ne m’avait pas retenue. Il me questionne sur mon empressement. Je lui hurle presque dessus en guise de réponse. Il fait signe à une collègue, lui dit de m’emmener. Je me suis retrouvée guidée vers une autre aile du bâtiment. Je voulais courir mais la femme me réfrénait, tentant de m’apaiser. Je me suis entendue haleter son nom de famille. La réceptionniste vérifia sur son écran d’ordinateur.
— Je suis navrée, madame, vous devez faire erreur ce nom ne figure dans aucun de nos services.
— Millet, ai-je répété d’une voix que je voulais apaisée craignant qu’elle n’eût pas compris le nom.
— Je veux bien vérifier une nouvelle fois, madame, mais je crains de ne pas me tromper.
— Vous m’avez appelée il y a moins d’une demi-heure, hurlai-je, perdant le peu de sang froid que j’avais réussi à rassembler.
— Madame, nous avons dans les dernières urgences une Duval, une Elgali, une Fouchardière, une Fouchet, une Galitrière…
— Fouchet ! m’écriai-je soudain consciente de ma bêtise. Fouchet ! C’est elle ! Je veux la voir ! Je dois la voir immédiatement.
Les deux femmes me dévisagèrent, mon estomac se serra, noué par l’angoisse de ne pas pouvoir la voir si on me pensait trop peu apparentée à elle. Je bafouillai que Millet était son nom de jeune fille. On m’indiqua une salle d’attente. Je criai que je voulais voir ma sœur : on me dit d’attendre qu’on vienne me chercher et on me proposa un café.


« … et lorsque je sors, avec cette pluie je dérape, heureusement M.Vauday m’attrape par le coude et me retient. Quelqu’un m’aurait-il aidé ? pensez-vous ! oh, n’est-ce pas votre téléphone mobile qui sonne ?
— Effectivement, je vous prie de m’excuser, je peux prendre la communication ?
— Mais faites ma chère, faites, mes pieds et mes histoires peuvent bien s’accommoder de passer en sourdine un instant. »
J’ai décroché. Oui, c’est elle même. Qu’y a-t-…Oui… Oui…Très bien… Bien… je… oui… Au revoir. J’ai raccroché, complètement perdue. Je suis retournée à Mme Bellec.
« Alors je disais, heureusement que cet adorable M.Vauday était là, sinon qui m’aurait porté secours ? Ca n’a pas l’air d’aller, de mauvaises nouvelles ?
— Je… C’était… C’était l’hôpital, ma sœur a eu un accident et… et… »
Ma transe prit fin aussi vite qu’elle était apparue, je saisis ma mallette, y fourrai tous mes instruments tout en jetant « Paulette je suis vraiment navrée, il faut que j’y aille. Vite. Je n’avais pas fini mais au moins vous pouvez désormais marcher normalement, je repasserai aussi vite que je le peux.
— Bien sûr, bien sûr. Je suis sincèrement désolée pour votre sœur, s’il y a quelque chose que je puisse faire… »
Je ne sais pas si elle rajouta quoi que ce soit après, j’étais déjà sur le perron. La voiture démarra en trombe mais il me fallut quelques mètres pour que je réalise que je ne savais où aller. Je pris alors la direction du centre ville d’où je connaissais le chemin de l’hôpital. A un feu où jamais personne ne passait, je manquai de renverser un piéton qui s’était dissimulé dans les brouillards qui embrumaient mes yeux. Soudain alerte de mon état, je pris une bouffée d’air qui me glaça les os, j’entendis la pluie battante sur la carrosserie et je vis mes vêtements trempés : j’avais oublié dans ma hâte ma veste chez ma cliente. Les virulents klaxons et appels de phares me firent redémarrer.

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