Green (2007)

Green (2007)

J’appuie ma tempe contre la vitre. Je voudrais qu’elle éclate.

J’essaie de me souvenir, j’essaie de me rappeler ces jours heureux où tout semblait aller si bien. Mais je n’y arrive pas ! Je veux me souvenir ! Je veux me souvenir de nos jeux, des moments partagés ensemble, de toutes les choses qu’elle m’a dites, de nos fous rires, de nos chagrins, de nos entrevues, de nos conversations, de sa voix, de ses mains, du contact de sa peau sur la mienne, de sa manie de se laver deux fois par jour, de la façon qu’elle avait de nouer sa serviette en turban sur ses cheveux, de sa manière de classer ses dossiers par couleur, les chaussures par taille, les pulls par épaisseur, de n’importe quoi mais même si j’essaie de ne rien oublier, dans mon esprit sa silhouette devient floue, insaisissable et quand je parviens à l’atteindre dans la brume de son corps qui s’enfume, elle se retourne et son visage s’envole avant que j’aie pu le voir. Je ne veux pas oublier ! Je ne veux pas oublier. Je ne veux pas… mais je sens bien que je ne peux plus me rappeler clairement ni cette tristesse ni cette douleur déchirantes. Elle n’est plus qu’un souvenir. Quoi que je fasse, quoi que je puisse faire, elle n’est déjà plus qu’un souvenir. Je me dis, je réalise, que le temps efface joie et douleur. Qu’il l’efface. Qu’il m’efface. Qu’il efface tout simplement. Que ces sentiments que je croyais avoir ressentis ne sont, après tout, que des hypothèses car je ne les connais que par le souvenir. Je ne peux pas lutter contre ça et j’enrage mais je me dois d’abdiquer : j’ai fait mon choix et moi, je dois continuer sans jamais plus m’arrêter.

J’appuie ma tempe contre la vitre. Dehors, deux jumelles jouent au ballon sous ce soleil de plomb.


Ma tête couchée sur sa poitrine allait et venait au gré de sa respiration. Ce perpétuel va-et-vient me berçait doucement. J’ai voulu tenir sa main comme nous le faisions petites en nous endormant. Mes doigts se sont glissés entre les siens. Sa paume tiède demeura inerte en la mienne. J’exerçai une pression qui resta comme un cri sans écho. Alors je n’ai pas pu ignorer mon angoisse plus longtemps. Elle était là l’évidence : ce n’était plus une querelle de gamines. La séparation s’était mise en branle et il n’y avait aucun moyen de faire machine arrière.

Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête

« Lise, on va faire un pacte. On ne se séparera jamais. Aucune de nous deux n’a le droit de mourir sans l’autre : on mourra ensemble comme ça, on ne se quittera jamais. Promis ?

— Promis. »

Toute sonore encor de vos derniers baisers ;

« Dis, est-ce que tu me pardonneras ? ai-je susurré, mes lèvres effleurant la peau blanche de sa main. Dis, est-ce que tu me pardonneras de ne plus vouloir me torturer à espérer ? Est-ce que tu verras que mon remord me bouffera bien avant ta fureur pour ma trahison ? Est-ce que tu me pardonneras d’avoir manqué à notre promesse ? … Je suis tellement désolée… je ne peux plus te voir ainsi. Chaque jour me ronge un peu plus, j’ai le sentiment de perdre ma consistance, ma substance vitale. Ton absence obscurcit chaque jour davantage mes yeux. J’angoisse trop de te perdre. J’ai tellement peur de ce jour. Pardonne-moi. Pardonne-moi pour mon égoïsme mais l’appréhension me dévore trop. J’ai besoin de … ce… soulagement. J’ai besoin de hâter ta… mort car tu m’entraînes petit à petit avec toi et… pardon, pardon pour ce que je vais dire mais… moi… je veux vivre, je ne veux pas partir. Je ne veux pas prendre ce chemin avec toi. »

Laissez-la s’apaiser de la bonne tempête,

J’ai enfoui mon visage dans la courbure de sa taille et sans sanglot, rythmées par les inlassables pulsations qui animaient son corps, mes larmes ont perlé.

Et que je dorme un peu puisque vous reposez.

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